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Transmettre les compétences face à la consommation

Édition n° 116
Avril. 2017
Fin des programmes nationaux de prévention

Transmettre les compétences face à la consommation. Notre interlocutrice dirige la Section Addiction du Département de la santé du canton de Bâle-Ville. Avec elle, nous revenons sur la politique actuelle de la Suisse en matière de drogue tout en nous projetant dans la nouvelle stratégie Addictions et les futurs défis de la politique en matière d’addictions, tout cela du point de vue d’un canton urbain.

Spectra : que pensez-vous de la collaboration avec la Confédération dans le cadre des trois programmes de mesures Drogue ?

Eveline Bohnenblust : J’ai trouvé la collaboration avec l’OFSP très positive. Le travail de coordination de la Confédération est essentiel car, isolément, les cantons ne peuvent accomplir leur tâche aussi efficacement. Il existe certes des amorces de coopérations intercantonales, par exemple concernant l’addiction au jeu, mais elles sont limitées à certaines tâches. La coordination générale est principalement assurée par la Plate-forme de coordination et de services dans le domaine des dépendances de l’OFSP. C’est un creuset d’échanges entre les cantons mais aussi entre les villes. Les cantons, peuvent ainsi échanger leurs bonnes pratiques. Car tout n’est pas à réinventer. Autrement, les cantons peuvent utiliser les synergies en matière d’offre.

La politique suisse en matière de drogue est citée en exemple au plan international, depuis le début des années 1990. Où voyez-vous ses principales réussites ?

Malheureusement, les scènes ouvertes de drogue ont sans doute joué un rôle décisif, à l’époque, dans la percée de ce modèle gagnant. Celles-ci ont donné un visage au problème de la drogue et permis des mesures de réduction des risques et des dommages qui auraient été impensables sans la pression induite par ce malaise social : du traitement avec prescription de méthadone jusqu’à l’héroïne aux centres d’accueil et de consommation. Ces mesures n’étaient pas régies par la loi mais sont nées sous la pression des scènes ouvertes de drogue. Elles ont été, à l’époque, une extraordinaire poussée d’innovation. Révision partielle de la loi sur les stupéfiants (LStup 2011) : un jalon important de la politique en matière de drogue La nouvelle LStup du 1er juillet 2011 a affermi le quatrième pilier – celui de la réduction des risques (locaux d’injection, échange de seringues, etc.) – de la politique suisse en matière de drogue qui s’articulait déjà autour de la prévention, de la thérapie et de la répression. Elle régit le traitement avec prescription d’héroïne en cas d’échec des autres types de traitement. Les autres changements essentiels portent sur le renforcement de la protection de la jeunesse, le repérage précoce et, en cas de maladie grave, les nouvelles possibilités d’application médicale limitée de stupéfiants. On a vu naître le travail bas seuil dans le domaine des addictions et la politique jusqu’alors axée sur les trois piliers de la prévention, de la thérapie et de la répression a été élargie à un quatrième pilier, celui de la réduction des risques. L’aide n’a plus été conditionnée à la volonté d’abstinence, on a accepté l’idée que les personnes dépendantes devaient être aidées même si elles n’étaient pas encore prêtes ou résolues à se sevrer. Cette démarche a aussi marqué le débat de société. Aujourd’hui, je vois un risque de retour en arrière, car la problématique de la drogue n’est plus aussi visible. De ce fait, il est beaucoup plus difficile d’obtenir un soutien, en particulier financier, pour les mesures de réduction des risques et des dommages. L’ancrage légal de la politique des quatre piliers à la faveur de la révision de la loi sur les stupéfiants (cf. encadré) de 2011 a donc été crucial. Celle-ci se pratiquait déjà auparavant mais n’avait pas de base légale.

25 ans après la fermeture des scènes ouvertes de la drogue, l’abus de drogues illégales n’est plus un problème prioritaire pour la population. La Suisse a-t-elle encore un problème de drogue ?

Le phénomène de l’addiction ne disparaîtra jamais : la consommation de substances psychotropes est présente dans chaque société et ce depuis tout temps. On voit sans cesse apparaître de nouvelles substances, et les comportements addictifs attirent de plus en plus l’attention. Avec les évolutions de la société, les modèles de consommation changent eux aussi. Un nombre croissant d’indices montrent que des gens prennent du LSD en microdoses pour augmenter leurs capacités intellectuelles – et non pour ses effets hallucinogènes. Cette consommation reflète la course à la performance de notre société. Si la problématique de l’addiction occupe moins l’opinion publique aujourd’hui, c’est parce que la population se sent moins menacée par les problèmes d’addiction actuels. Tant que je ne suis pas concerné, pourquoi me soucier, par exemple, des difficultés que peuvent éprouver certaines personnes à réguler leur utilisation du portable ? Il faut savoir que les problèmes d’addiction ne touchent qu’un nombre limité d’individus et que l’essentiel de la population maîtrise les substances addictives.

Le fléau de l’héroïne des années 1980 et 1990 a principalement été jugulé au moyen d’une médicalisation de la problématique de l’addiction – par exemple locaux de consommation sous surveillance médicale ou traitements de substitution et distribution d’héroïne. Est-ce également la bonne approche pour relever les défis actuels de la politique en matière d’addictions ?

Non, certainement pas. Pour l’héroïne, c’était le cas ; comme cette substance est très addictive, un traitement médicamenteux ou de substitution était indiqué. Idem pour l’alcool. À partir d’un certain point, le recours à la médecine s’impose.

S’agissant des nouvelles substances qui se prennent dans les soirées ou des comportements addictifs, la médicalisation serait inadéquate. Car ces gestes s’inscrivent dans la vie quotidienne. Ici, on a plutôt besoin de prévention et surtout de dépistage précoce. À un certain moment, on tombe clairement dans la pathologie, et la médecine devient nécessaire, mais cela ne vaut que pour une petite partie des personnes concernées.

Dans la politique en matière de drogue, on a eu tendance à assimiler le pilier de la réduction des risques aux offres d’aide à la survie, comme les centres d’accueil ou la distribution de seringues. Mais la réduction des risques et des dommages va bien au-delà : elle signifie une vie nocturne sûre, une consommation contrôlée, le passage de la fumée au vapotage, etc. Le concept de réduction des risques et des dommages doit être élargi à d’autres contextes que celui de la consommation de drogues illégales.

L’objectif principal doit être de donner aux gens les moyens de maîtriser les substances addictives en tous genres. Cette démarche requiert des mesures ciblées, promouvant la santé et préventives. Autre fait à prendre en compte : outre les risques d’addiction, les besoins en matière de traitement et les interventions efficaces évoluent selon les étapes de la vie. Par conséquent, la promotion de la santé, la prévention et, en particulier, le repérage précoce sont des tâches qui s’appliquent à toutes les phases de l’existence.

Où attendriez-vous que la Confédération renforce son engagement dans la politique en matière de drogue ?

Je souhaiterais la voir prendre position davantage sur les thèmes et les risques liés à l’addiction. De nouvelles études et développements viennent sans cesse montrer que les actions menées aujourd’hui sont dépassées. Nous pouvons aussi apprendre de l’étranger à cet égard. J’attendrais parfois de l’OFSP des approches innovantes et le leadership auquel il nous avait habitués. Créer de telles bases n’est pas notre mission principale mais il nous les faut pour continuer d’avancer.

Après bientôt dix ans, il serait temps de revoir la loi sur les stupéfiants. Concernant en particulier le cannabis, les développements internationaux des dernières années montrent bien qu’elle n’est plus guère en mesure de remplir sa fonction.

Autre sujet d’importance : la poursuite des développements en matière de promotion de la santé, de prévention et de dépistage précoce. Ceux-ci subissent cependant les restrictions budgétaires croissantes. Le conseiller fédéral Alain Berset l’a dit clairement lors de la Conférence nationale Santé2020 : il est prouvé que la prévention fonctionne et est source d’économies. Ce message, en particulier lorsqu’il émane de plus haut, est très important pour nous, les cantons et les villes, il aide à obtenir un soutien pour les mesures en question.

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